Harrisson ordonna la retraite mais fit construire une série de forts afin de consolider sa ligne de défense et de préparer son retour offensif. Ce fut une sage décision car les Anglais se révéleront incapables de franchir ces points d’appui et ne purent menacer de manière significative la ligne de ravitaillement américaine. La défaite de Frenchtown interrompit toute nouvelle offensive hivernale et les troupes prirent leurs quartiers d’hiver pour reconstituer leurs forces. La construction du fort Meigs avait débuté le 1erfévrier 1813 et avait été confiée aux hommes de la milice. Malheureusement ces derniers arrivèrent au terme de leur engagement et retournèrent vers leurs foyers sans en avertir Harrisson. Le général américain, entre-temps, avait quitté le site de construction pour tenter d'attaquer une position anglaise près du lac Érié mais avait dû faire demi-tour devant des conditions météo défavorables. A son retour à fort Meigs, il découvrit un chantier déserté de ses ouvriers miliciens et en plein abandon. Ses propres hommes arrivant également au terme de leur engagement, Harrisson leva une nouvelle armée composée de réguliers (17thet 19th US infantry regiment) cette fois pour poursuivre la construction du fort. Confiée au Major ingénieur Wood, la construction du fort Meigs fut la plus grande de ce type jamais réalisée dans cette région. Occupant 8 acres de terrain il possédait 8 blockhaus, une barrière de bois de 4,5 m de haut, la rivière Maumee protégeant sa face nord, des ravines protégeant sa face est et un large champ ouvert afin d'assurer un bon angle de tir face à sa face sud. Devant ces préparatifs, les Anglais sous le commandement du général Procter décidèrent d'attaquer le fort Meigs pour empêcher toute invasion future depuis cette position. Mais alertés des plans de cette attaque, les Américains renforcèrent la garnison du fort : des guerriers indiens et 1200 miliciens du Kentucky étaient en route avec le général Clay à leur tête pour aider le fort. La garnison du fort atteignait 1100 hommes des deux régiments, des miliciens et des indiens.
Le 26 avril 1813, les Anglais débarquèrent sur la rive de la rivière Maumee. Cette force comprenait 500 réguliers, principalement du 41st foot, un petit détachement d'artilleurs de la RFA, des miliciens canadiens et surtout 1250 guerriers indiens. L'artillerie comprenait 2 pièces de 24 livres et 9 de plus petit calibre ; deux canonnières sur la rivière complétaient le dispositif.
Le 1er mai, l'artillerie anglaise commença le bombardement du fort mais son feu fut rendu inefficace par les dernières préparations défensives de Harrisson qui avait fait établir des protections supplémentaires autour du fort. Néanmoins il ordonna à son subordonné, le général Green Clay, qui conduisait les troupes de renforts, de se préparer à une attaque combinée sur les batteries anglaises depuis le nord tandis que la garnison du fort ferait une sortie depuis le sud.
Le 5 mai, la force de Clay sous les ordres du colonel Dudley débarqua 860 miliciens du Kentucky et quelques réguliers et prit par surprise les artilleurs anglais. Mais au lieu d'utiliser des clous pour boucher les lumières des canons, les hommes de Dudley se contentèrent de les rendre temporairement inutiles avec des écouvillons. La contre-attaque des Anglais avec 3 compagnies du 41stfoot, des miliciens canadiens et des guerriers indiens sema la confusion dans les rangs américains. Une partie de ces derniers pourchassa les indiens dans les bois et s'y fit décimer par des combattants habitués à ce genre de guerre, tandis que le reste était balayé par les réguliers anglais. Sitôt repris, les canons furent remis en service et sur les 866 hommes de Dudley, seuls 150 purent revenir vers le camp américain. Sur le côté sud les 350 soldats américains prirent également la petite batterie anglaise en face d'eux mais là encore furent forcés à la retraite par la contre-attaque Anglo-canadienne. Les nombreux prisonniers américains furent conduits vers un ancien fort anglais en ruine, mais une partie d'entre eux fut massacrée par les guerriers indiens (entre 12 et 14 hommes) qui répétaient leur comportement de la rivière Raisin. C'est le chef indien Tecumseh qui empêcha ses hommes de poursuivre leur massacre tout en critiquant le général Procter pour son inaction devant ce forfait. Les prisonniers américains ( 630 hommes ) furent libérés sur parole ou échangés contre des soldats anglais. 250 Américains avaient été tués ou blessés dans le siège contre 20 indiens et 60 Anglo-Canadiens.
Le 7 mai devant l'inefficacité de son artillerie, et l'abandon de ses alliés indiens, Procter n'eut d'autre choix que de suspendre le siège, d'autant que ses propres miliciens souhaitaient ardemment retourner chez eux s'occuper de leurs récoltes. Malgré des pertes lourdes, les Américains sortaient victorieux du siège et les Anglais perdaient l'initiative suite à ce siège malheureux, ce ne fut pas le dernier dans ce secteur.
Le général Henry Proctor commandant les forces anglo-canadiennes tenta, ensuite, de prendre le fort Stephenson qui défendait un dépôt de ravitaillement important sur la rivière Sandusky. Le fort était commandé par le major George Croghan, sa garnison était composée d'éléments du 17thet du 3rd US infantry, en tout 160 soldats réguliers. Le généralissime américain W.Harrisson, pensant le fort indéfendable, ordonna à Croghan de l'abandonner. Mais ce dernier insista pour défendre le fort. Harrisson accepta et envoya des forces en renfort vers le fort si ce dernier venait à tomber. Pendant ce temps, les Britanniques établirent leur ligne de siège et commencèrent à bombarder le fort depuis des batteries à terre et des canonnières sur la rivière. Le bombardement eut peu d'effet et les murs en bois du fort encaissèrent bien les boulets ennemis. L'assaut au sol devait se faire face à un fort qui n'était nullement amoindri et défendu par des hommes résolus.
le fort Meigs aujourd'hui, les blockaus de ce genre offre une bonne protection contre les balles de mousquet mais offre bien moins de résistance face aux boulets de fer plein tirés par les canons.
Certains de ces projectiles étaient chauffés au rouge pour incendier les fortifications en bois
Les troupes anglaises approchèrent du fort, en face, les défenseurs attendirent le dernier moment pour ouvrir le feu. Subissant des tirs à mitraille et un feu de mousqueterie précis, les Anglais refluèrent puis revinrent à l'attaque avec à chaque fois le même résultat. Ils furent incapables de percer les murs par manque d'outils de génie et les échelles se révélant trop courtes pour escalader les murs. Les indiens de leur côté avaient fui face au tir à mitraille des canons américains. Les Anglo-Canadiens se trouvèrent bloqués au pied du fort sans pouvoir franchir ses murs et en subissant un feu continuel ravageur. Après avoir perdu presque une centaine d'hommes tués, blessés ou disparus, les Anglais décidèrent d'abandonner le siège et battirent en retraite vers le Canada. La garnison américaine déplora 1 mort et 7 blessés. Pour sa conduite courageuse, Croghan fut nommé lieutenant-colonel et plus tard le congrès lui attribua une médaille d'or pour sa victoire.
ci-contre l'assaut raté contre Fort Stephenson
Ces deux succès défensifs américains, quoique coûteux, ne furent rien comparés à celui qui allait sceller le sort de toute une région. Il ne se déroula pas sur terre mais sur le lac Érié.
La défaite de Detroit en 1812 avait laissé le seul navire américain disponible du lac Érié aux mains des troupes anglaises. Quasi inexistante début 1812, la flottille américaine du lac Érié dut être mise en place à partir de rien ; l’incapable secrétaire à la marine : Paul Hamilton fut remplacé par William Jones sur décision du président Madison, un choix qui se révélera judicieux. Il confia le 3 septembre la responsabilité de la flotte du lac Érié et du lac Ontario à Isaac Chauncey, commodore de la Navy qui dirigeait le chantier naval de New York. Reprendre le contrôle de la zone du lac Érié imposait la construction d’une flottille complète, son entraînement et son armement. L’homme providentiel pour assurer cette délicate mission fut un « master commandant » de 28 ans : Oliver Hazard Perry. Courtois, moral, cavalier et musicien confirmé à ses heures, OHP fut également d’une intégrité absolue allant jusqu’à refuser le pourcentage sur les frais de construction des navires qui était généralement alloué au responsable d’un chantier naval. Un de ses plus grands problèmes fut le recrutement de marins qualifiés. Harrisson lui envoya des renforts dont des tireurs d’élite du Kentucky pour armer les 11 navires de sa nouvelle flottille. Son navire amiral fut le USS Lawrence, en l’honneur du capitaine du USS Chesapeake qui fut tué au combat ; son fanion personnel bleu sera brodé des dernières paroles de Lawrence « Don’t give up the ship ». Finalement la flottille de Perry alignait deux bricks, les USS Niagara et Laurence et 7 plus petits navires armés de un à 4 canons.
La flottille de Perry était maintenant prête pour le combat et celui-ci allait avoir lieu le 10 septembre 1813 près de Put in Bay. A 7h00 du matin, les navires de Perry arrivaient en vue de la flottille anglaise commandée par le Captain Robert Barclay qui était embarqué sur son nouveau bateau amiral : le « Detroit ». Mais la flottille anglaise, bien que de taille équivalente, était handicapée par un manque de provisions et, plus grave, de canons. Pour équiper le HMS Detroit, Barclay avait fait désarmer le fort Malden. Mais le navire anglais se trouvait du coup avec une artillerie embarquée disparate ce qui posait un grave problème d’organisation en matière de munitions. Tout cela était en partie dû au sac de York et de son arsenal. Le chef de la marine des lacs, l’amiral Yeo, était tout disposé à s’occuper de la flottille du lac Ontario qu’il commandait directement. Mais il délaissait complètement celle du lac Érié, jugeant la menace américaine dans ce secteur moins importante que celle pesant sur Kingston. Tout envoi de renforts ou de matériel vers la flottille du lac Érié se voyait ponctionné de ses meilleurs éléments ou pièces de navire pour équiper les bateaux de Yeo, laissant les restes à la flottille de Barclay …
ci-contre évocation de la bataille du Lac Erié, ce fut sans conteste la bataille qui influença le plus le cours de la guerre dans cette région. Elle permit la seule campagne victorieuse des Américains en territoire canadien.
Tout manquait, et l’envoi des matériaux nécessaires à la réparation ou à la construction des navires du lac Érié était extrêmement compliqué. Les éléments de construction et d'accastillage provenaient d’Angleterre, des clous au marteau ou encore les parties d’un gréement. Les fournitures étaient acheminées en traversant l’atlantique pour débarquer à Québec, puis, descendaient le Saint Laurent jusqu’à Kingston. Après un éventuel prélèvement de pièces, ce qui restait traversait le lac Ontario jusqu’à la péninsule du Niagara avant de caboter sur le lac Érié et arriver enfin à la flottille de Barney. On comprend mieux les énormes difficultés rencontrées par la flottille anglaise. Les Américains ne connaissaient pas ce genre de difficultés puisque tout était fabriqué chez eux et devait parcourir bien moins de route et en territoire sécurisé pour parvenir jusqu’aux chantiers navals. Les navires de Perry étaient mieux servis, leurs équipages plus nombreux mais les navires étaient majoritairement armés de caronades qui portaient moins loin que les canons anglais ; par contre leur puissance de feu à portée courte était dévastatrice ce que T.Roosevelt décrivait comme la supériorité du métal dans un combat naval. Tentant de s’approcher au plus vite des navires anglais, les Américains encaissèrent les premiers coups au but et les premières pertes. Parvenant à distance de combat idéal, l'USS Lawrence envoya ses bordées bâbord et tribord sur les deux navires anglais l’entourant : les HMS Detroit et Queen Charlotte. Au bout de 2 heures, le navire amiral américain était criblé de part en part et Perry décida de transférer en plein combat son fanion sur l'USS Niagara. Après avoir embarqué sur le Niagara, Perry navigua vers le centre de la ligne ennemie et utilisa la puissance de feu supérieure à courte portée que lui procuraient ses caronades et les mousquets de l’infanterie embarquée. Infligeant des dégâts considérables aux navires ennemis, O.H.P inspira les autres bateaux américains de sa petite escadre à faire de même. Très rapidement les Anglais ayant subi des dommages trop importants se rendirent les uns après les autres. Pour la première fois de son histoire, une flottille complète de la Royal Navy fut capturée au combat. 135 marins anglais avaient été tués ou blessés contre 123 américains. Le message concis envoyé à Harrisson par Perry passait à la postérité « Nous avons rencontré l’ennemi et l’avons capturé. Deux vaisseaux, deux bricks, une goélette et un sloop. Bien à vous, avec mon estime et mon plus grand respect, O.H.Perry » Le lac Erié était devenu un lac américain.
Au-delà de la portée de la première grande victoire navale américaine jamais remportée jusque-là, c’est toute la région du lac Érié qui vit sa situation stratégique basculer. En perdant le contrôle du lac, les Anglais perdaient la possibilité de ravitailler Fort Malden, Detroit et toute la région. La forêt dense empêchant le transit des convois de ravitaillement, seul le contrôle de la voie fluviale et du lac Érié permettait de garder ouverte la ligne de ravitaillement qui garantissait l'approvisionnement et donc la domination anglaise de cette zone. A l’annonce de la victoire américaine du lac Érié, Henry Proctor décida d’abandonner purement et simplement Fort Malden et d’effectuer une retraite vers le nord-est à travers la vallée de la rivière Thames. Mais ce faisant il abandonnait les terres de chasse ancestrales des tribus de la confédération de Tecumseh. Ce dernier protesta vivement contre la décision de Proctor lui reprochant d’abandonner trop facilement le terrain chèrement conquis. Se sentant trahi il se résolut à accompagner la retraite de l’armée anglaise le 24 septembre 1813. Craignant pour les tribus locales qui seraient laissées sans défense, les indiens de Tecumseh voulaient continuer la lutte dans ce secteur face à l'envahisseur américain. Mais les Anglais battaient en retraite et ne laissèrent d'autre choix à leurs alliés que de les suivre. Perry, peu de temps après sa victoire, transporta 2500 hommes du général Harrison à Amerstburgh qui capturèrent la ville le 27 septembre. De l'autre côté, 1000 cavaliers du Kentucky, menés par Richard Johnson, capturaient Detroit sans combat.
Pour les Anglais c'était l'heure de la retraite vers l'Est. Ce fut une force composite de 900 hommes qui longea la rivière Thames vers un secteur plus propice à la lutte et surtout en mesure d'être ravitaillé. Les Américains étaient sous le commandement du général William Henry Harrison, homme énergique et prudent qui entama après son succès à Amherstburg la poursuite de l'armée anglaise en retraite. Ne possédant pas un sens tactique aiguisé, Proctor commit l'erreur de ne pas ralentir la progression américaine par des obstacles derrière lui et laissa tous les ponts intacts, facilitant ainsi la poursuite ennemie.
L'armée américaine forte de 3000 hommes, comprenait des éléments réguliers des 27th US infantry regiment, des guerriers indiens et surtout une importante force de volontaires du Kentucky sous les ordres du gouverneur du Kentucky, Isaac Shelby, 66 ans, qui brûlaient de venger la mort de leurs camarades tombés à Frenchtown. De plus une partie des volontaires, sous les ordres du colonel Johnson, étaient montés à cheval leur donnant une vitesse supérieure sur leurs opposants essentiellement à pied et démoralisés. Les Anglais, se sachant poursuivis, prirent position près du village de Moraviantown et attendirent la force américaine toute proche. Tecumseh était là lui aussi et se prépara à un rude combat appuyé par des alliés anglais qu'il trouvait de plus en plus défaillants. Harrison déploya ses troupes en une colonne, il disposait de la supériorité numérique et morale ainsi que des cavaliers de Johnson. Sans attendre, ce dernier lança ses hommes dans une charge contre les Anglais. Cette manœuvre risquée aurait pu être un désastre si les Anglais avaient fait front et expédié une décharge comme eux seuls savaient les faire mais, au lieu de quoi, ils préférèrent la fuite vers les bois en tiraillant de manière confuse et inefficace contre les cavaliers du Kentucky.
ci-contre la bataille de Moraviantown, l'action des cavaliers du Kentucky fut déterminante, bien que personne ne sache réellement comment Tecumseh est mort ; la légende prétend que le colonel Johnson lui-même aurait abattu le grand guerrier d'un coup de pistolet
Rapidement mis en déroute, les Anglais lâchèrent pied et laissèrent les Américains se retourner contre les indiens, isolés, mais qui faisaient toujours face. Disposés couchés dans les marais, les indiens résistèrent un temps aux volontaires du Kentucky qui avaient mis pied à terre et engageaient un furieux combat au corps à corps. Mais finalement dépassés, les indiens furent submergés et leur chef Tecumseh fut tué (dans des circonstances encore mystérieuses aujourd'hui) : leur moral s'effondra alors et eux aussi fuirent dans les bois. Ils abandonnaient 33 morts mais emmenaient la grande majorité de leurs pertes avec eux (les indiens emmenaient leurs morts après le combat pour cacher leurs pertes à l'ennemi et permettre les rites funéraires ; ainsi l'abandon de 33 morts prouvait que leurs pertes avaient dû être très lourdes). 12 Américains avaient été tués et 22 autres blessés ; de leur côté les Anglais laissaient 600 morts, blessés et prisonniers entre les mains des Américains. Seuls 250 d'entre eux parvinrent à s'échapper. La bataille de la rivière Thames s'achevait sur un désastre pour les Anglo-Canadiens car elle marqua, outre la perte de la région de fort Malden, la fin de la confédération indienne de Tecumseh, leur plus précieux allié, et une participation beaucoup moins importante à leurs côtés de la part des guerriers indiens à l'avenir.
ci-contre le général Henry Proctor, il fut envoyé en cour martiale, sa paye et son rang suspendus pour 6 mois. Le prince régent lui-même, en tant que chef des armées, insista pour que sa sanction soit lue dans tous les régiments anglais pour l'exemple.
Proctor fut destitué pour ses fautes commises dans cette campagne ; les indiens, eux, seront habilement manipulés par Harrison pour demeurer à l'écart des combats. Quant aux prisonniers anglais conduits en Ohio, la plupart mourront de maladie en captivité. Les Américains venaient de prendre un réel ascendant en récupérant le territoire perdu depuis la campagne de Detroit et surtout en s’emparant pour la première fois d’une partie du territoire du Haut Canada. Cette portion du Canada restera entre les mains américaines jusqu'à la fin de la guerre. Mais si 1813 se terminait par un éclatant succès sur le front ouest, la situation du Nord-Est allait se révéler être un désastre...